Le brevet a commencé aujourd'hui avec l'épreuve de français, la plus longue (3h), composée de plusieurs exercices : les questions sur le texte, la réécriture, la dictée et la rédaction. Le sujet est souvent l'occasion pour les élèves de vérifier que la littérature n'est jamais très éloignée de la vie, de la société et de l'histoire des hommes, qu'elle s'écrive avec une petite ou une grande h. Ce fut le cas cette année, avec ce texte de Charlotte Delbo proposé à la réflexion des troisièmes.
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Le texte de Charlotte Delbo |
Le sujet ne donnait aucune précision sur l'auteur, profitons pour en dire quelques mots. Charlotte Delbo (1913-1985) fut résistante. Arrêtée, le 2 mars 1942, avec son mari que les nazis fusillèrent en mai, elle fut déportée à Auschwitz. Elle survécut et à son retour en France, elle commença d'écrire sur son expérience de la déportation. Toute son oeuvre en est empreinte. Le texte servant de support à l'épreuve est extrait d'Une scène jouée dans la mémoire, publiée, plusieurs années après la mort de l'écrivain, en 2001 ; le propos - même si Charlotte Delbo a pris le soin de modifier les noms des personnages - s'inspire largement de sa vie. Les élèves n'auront pas eu de mal à reconnaître qu'il s'agit là de théâtre. La scène se passe en mai 1942, en pleine occupation nazie. Paul, qui a été arrêté, revoit pour la dernière fois sa femme Françoise, avant d'être exécuté. Le dialogue repose sur un développement argumentatif : Paul cherche à convaincre son épouse que sa mort n'est pas vaine, le combat pour la liberté primant le bonheur individuel.
Donnons quelques pistes de correction - et non un corrigé détaillé - aux questions qui suivaient le texte.
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Les questions |
1. Le choix, dont parle Paul, est celui qu'il a fait, avec Françoise, de s'engager dans la résistance pour combattre l'occupant nazi, par conséquent de risquer sa vie pour défendre la liberté de tous ("Que tous les combattants ne soient pas au défilé, chacun le sait avant de s'engager..." - l. 18-19)
2. François partageait ce choix, comme le rappelle Paul ("Nous avions choisi, toi et moi" - l. 21), mais face à la réalité de la situation, qui doit la séparer à tout jamais de l'homme qu'elle aime, elle est gagnée par l'émotion et doute de l'utilité du combat ("que m'importe la victoire sans toi" - l. 6 ; "Je n'avais pas choisi de te perdre." - l. 22).
3. Les deux personnages s'opposent dans le dialogue, usant de registres différents : Paul est confiant dans l'avenir - il utilise de nombreux futurs ("tu verras la victoire", "Des milliers se lèvent qui (...) nous vengeront") - certain de l'importance de la cause et n'éprouvant aucune tristesse devant la mort, allant même jusqu'à consoler Françoise ("Je sais que tu es brave, je sais que tu sauras vivre sans moi."). Paul développe un discours de raison, avance de nombreux arguments pour convaincre sa femme. Cette dernière est tout entière dans le registre de l'émotion : elle parle essentiellement au passé ("toute ma vie s'engloutissait..." - l. 2 ; "Je n'avais pas choisi..." ; "j'avais toujours pensé..." - l. 22), utilise des interjections lyriques ("Ô Paul..." - l. 6 et 9). L'émotion de Françoise est toutefois vaincue, à la toute fin du dialogue, par la sérénité et les arguments de Paul, adoptant à son tour le futur et montrant ainsi sa confiance en l'avenir : "Je le serai." (l. 29)
4. Pour convaincre Françoise, Paul avance plusieurs arguments : il met d'abord en valeur son courage ("tu es brave") ; il pointe ensuite un avenir plus radieux, récompensant son sacrifice ("tu verras la victoire"), avenir annoncé par les bonnes "nouvelles du dehors" et par un mouvement de résistance prenant de plus en plus d'ampleur ("les nôtres se lèvent de tous côtés" ; "des milliers se lèvent") ; il met enfin en avant "la liberté", valeur essentielle primant alors sur toutes les autres ("nous nous battons pour la liberté.").
5. Dans la phrase, le verbe "tomber" est synonyme de mourir. Il est conjugué au conditionnel présent et a la valeur d'un futur dans le passé.
6. Au théâtre, lorsqu'un personnage fait un "aparté", il se détourne de la conversation qui a lieu sur la scène pour s'adresser à lui-même, mais surtout au public. Les "apartés" de Françoise font ici autant de commentaires aux propos tenus par Paul ou à ses propres réactions, comme si l'auteur se retournait sur son passé (ou le passé de son personnage) pour apporter des précisions sur le moment qui resurgit sur scène.
7. Le titre est paradoxal : une scène, normalement, est jouée dans un espace ouvert au public (le théâtre) ; ici, le lieu où se déroule l'action est, au contraire, un espace intime, fermé : la mémoire. Nous avons dit, en présentant le texte, qu'il s'inspirait à l'évidence des événements vécus par Charlotte Delbo et de la mort de son mari en mai 1942 (date qui apparaît dans le dialogue). Cette "scène jouée" peut donc l'être dans celle de l'auteur, mémoire personnelle, douloureuse, s'exprimant dans l'écriture, s'ouvrant au public et à notre mémoire collective afin qu'on n'oublie pas le sacrifice de ces hommes et de ces femmes qui ont donné leur vie pour la liberté.
8. Il est évident que la situation mise en place dans le texte ne fut guère possible en 1942 : un résistant arrêté et condamné à mort n'avait guère la possibilité de recevoir la visite de son épouse, elle-même résistante. La scène revêt donc un caractère imaginaire, le théâtre permettant de réunir pour un dernier échange ceux que la tragique réalité avait isolés et séparés. La scène pourrait donc représenter un lieu double : l'intérieur d'un crâne ("dans la mémoire") et l'intérieur d'une cellule, avec un plateau dépouillé, un décor assez minimaliste : une paillasse sur le sol, une fenêtre avec des barreaux pour figurer la prison ; une atmosphère sombre, la lumière éclairant surtout le visage de Paul et s'élargissant à la fin pour illuminer les deux personnages. On pourrait imaginer, en coulisses, des bruits de loquets de porte, de pas de soldats, etc., ou un silence total troublé par le seul dialogue des personnages.
Après les questions, la réécriture, l'exercice peut-être le plus simple, mais qui exige des élèves une bonne lecture de la consigne (il fallait, par exemple, dans le cas qui nous occupe, bien voir qu'il s'agissait de remplacer "tu" par "elles" et non par "elle" ou "ils") :
Ce qui donnait ceci :
"Je sais qu'elles sont braves, je sais qu'elles sauront vivre sans moi. Il faut qu'elles vivent, elles."
La dictée, souvent redoutée par les élèves, dure vingt minutes et clôt la première partie de l'épreuve. En voici le texte, qui n'est pas sans rapport, comme on va le lire, avec celui de Charlotte Delbo :
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La dictée |
Après un quart d'heure de pause bien méritée, les élèves ont eu 1h30 pour développer l'un des deux sujets de rédaction qui leur étaient proposés :
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Les sujets de rédaction |
Le premier sujet, dit "sujet d'imagination", demandait aux élèves de s'inspirer du texte de Charlotte Delbo, les obligeant à réutiliser la situation, le contexte historique, le caractère du personnage, à rappeler et à développer l'engagement de Paul dans la résistance, tout en respectant les codes de la lettre, étudiés en quatrième et revus très souvent en troisième. C'est une forme assez classique pour une rédaction de brevet.
Le sujet de réflexion, moins prisé des élèves, pouvait apparaître comme plus difficile, mais en réinvestissant les textes lus et étudiés en classe et les œuvres travaillées dans le cadre de l'histoire des arts, il devenait largement à la portée de tous. Les correcteurs apprécieront la pertinence des références culturelles et historiques des candidats, et ne seront pas moins sensibles à la bonne organisation de leur réflexion.
Ainsi s'achevait, au bout de trois heures d'intense réflexion, l'épreuve de français du DNB 2014.